Aujourd’hui, je discutais du premier tome de ma trilogie avec une des personnes qui participent à la relecture. Cette personne m’a dit : « Je trouve qu’il est trop homosexuel. »
Puisque, à ma connaissance, mon roman n’a pas de relation amoureuse et/ou sexuelle avec des romans du même genre que lui, qu’il ne m’a pas fait de coming-out et que peut-être qu’il est bisexuel, ou pansexuel, je suppose que cette personne parlait des thèmes qu’il abordait et des personnages.
Car, soyons honnêtes, je parle énormément des LGBTQIA+ (lesbienne, gay, bi, trans, queer, intersexe, asexuel, etc…) dans mes romans.
Et ça me fait beaucoup réfléchir que ceci ne paraisse pas naturel de lire des histoires sur ce sujet.
L’importance de la représentation
Je n’en fais pas un mystère : je suis lesbienne. J’ai eu du mal à m’en rendre compte parce que je n’avais pas de référent∙e. Ni parmi ma famille et mes amis (ou alors, je ne le savais pas, ce qui revient au même), ni dans les romans, films, séries, jeux vidéo que je dévorais. Quand on n’a pas de mot pour quelque chose, quand on n’a pas connaissance qu’on n’est pas tout∙e seul∙e à le vivre, c’est excessivement difficile de construire son identité (c’est assez intéressant parce qu’il n’y a pas que ce sujet sur lequel je pourrais vous écrire ce paragraphe).
Un jour, j’ai rencontré des gens grâce à internet, notamment deux femmes un peu plus âgées que moi, qui m’ont partagé leurs connaissances culturelles. J’ai ainsi découvert quelques scènes de la série Xena (que j’avais décidément arrêtée trop tôt), j’ai pu m’acheter des livres et découvrir une culture qui m’avait été inconnue jusqu’ici.
Pas inaccessible. Inconnue.
Et il a fallu attendre que je sois majeure pour ça. C’est très tard, parce que ça laisse déjà un temps fou pour se questionner et penser que décidément, il y a quelque chose qui n’a pas de nom dans mon univers. Sans savoir quoi.
Je suis consciente qu’il y a des gens qui découvrent cette culture bien plus tard que moi. Je pense aussi aux bi∙e∙s, aux trans, aux asexuels qui sont encore moins représentés que les lesbiennes et les gays cisgenres (être cisgenre, c’est quand notre genre correspond à celui qui nous a été attribué à la naissance).
Certes, je vous parle de sexualité et d’identité de genre, mais songez aussi à la difficulté de trouver des protagonistes de couleur, des héroïnes qui font autre chose que d’attendre le Prince Charmant. Je suis née avec une malformation et les rares représentations de celle-ci dans les films (je n’en ai jamais vu ailleurs) sont celles de personnages très bêtes et très méchants.
Tu n’as pas lu les bons romans / vu les bons films
Peut-être. Mais voyez-vous, je suis née dans une famille qui est très portée sur la culture, j’ai fait des études littéraires et je dois reconnaître qu’on a toujours pris soin de nourrir ma curiosité. Cependant, je n’ai aucun souvenir d’un livre lu durant mes études qui parlerait de l’expérience d’homosexuels ou de personnes de couleur. Pendant des années, mes professeurs m’ont fait lire l’histoire d’un mec, une histoire développée différemment selon l’auteur, la période, le genre du roman, mais je ne m’identifie pas à Jean Valjean, ni à Candide, ni à Chateaubriand. Je ne m’identifie pas davantage à Luke Skywalker, ni à Maximus de Gladiator, ni à n’importe quel personnage masculin des films de Woody Allen (ils sont interchangeables, pratique). Que les œuvres en question m’intéressent ou non, je ne m’identifie pas.
Mes études m’ont appris que la littérature, c’était surtout un truc d’hommes. Les livres qu’on m’offrait avaient sensiblement la même tendance à être écrits par des hommes. Si je vous parle des auteur∙e∙s que j’affectionne, il y a beaucoup plus de chances que vous connaissiez davantage Neil Gaiman que Sarah Waters (si vous faites partie des rares personnes à connaître davantage Sarah Waters, je vous fais un bisou).
J’aime le fantastique, la science-fiction, l’heroic fantasy. Et la plupart des classiques de ces thèmes sont écrits par des hommes. Ils vont vous parler d’hommes blancs qui sauvent le monde (et les femmes avec qui ils vont finir par avoir une relation amoureuse/sexuelle). Parfois, il y aura une femme guerrière auprès d’eux. Mais cette femme leur laissera le commandement parce que tout le monde sait bien qu’il vaut mieux laisser un inconnu prendre la direction d’une armée quand il n’a aucune expérience, plutôt que de laisser une femme formée pour ça s’en occuper. Voilà le plafond de verre illustré inconsciemment par la fiction.
Nous écrivons ce que nous connaissons et ce que nous imaginons
Le problème, c’est qu’on parle plus facilement de ce qu’on connaît. J’ai un mal fou à parler de racisme ou de transphobie parce que je n’en connais pas tous les tenants et les aboutissants, puisque je ne le vis pas au quotidien et que je fais partie des privilégiés en tant que blanche et cisgenre. Je représente de plus en plus des trans et des personnes de couleur parce que mon cheminement personnel m’a poussée à m’informer. Mais je ne suis pas bien placée pour parler des oppressions.
En mars, j’ai commencé le challenge We Need Diverse Books. J’ai remarqué que je n’avais presque que le point de vue de l’homme blanc, cisgenre et hétérosexuel sur le monde. Et depuis, j’ai pris des claques. Non, on ne voit pas le monde et l’avenir de la même façon selon le continent où on vit, selon son genre, sa sexualité, sa couleur de peau. Cela ne veut pas dire que les livres seront de qualité. J’ai lu des choses que j’ai détestées depuis mars. J’ai aussi lu des livres qui m’auraient beaucoup apporté si je les avais lus adolescente, qui m’auraient ouvert les yeux sur bien des choses. Ce challenge me permet de faire de la discrimination positive, de réfléchir avant de prendre un livre au hasard.
Quand j’ai annoncé que je participais au challenge, certaines personnes sont venues me parler pour me dire que c’était ridicule, qu’il ne fallait pas arrêter d’acheter des romans écrits par des hommes cisgenres, blancs et hétérosexuels, et même que j’étais raciste et que ce rejet les émasculait (oui oui, tout ça). Pourtant il n’est pas question de faire un autodafé ou de couper les mains des auteurs, non, juste de ne pas les lire pendant un an. Et encore ! Mes proches m’offrent toujours des romans, presque exclusivement écrits par des hommes cisgenres, blancs et hétérosexuels.
laisser un espace de parole aux concerné∙e∙s
J’ai mis plus de vingt ans à me rendre compte que les personnages des romans que je lis sont presque tous blancs. Je ne l’avais pas remarqué parce que je ne vis pas le racisme, je ne peux que le voir (au mieux). Et comme je ne le voyais pas, je ne me rendais pas compte que je reproduisais alors ce schéma dans mes écrits. C’est très important de se sensibiliser, d’écouter les concernés parler de ce qu’ils vivent, pour retirer nos œillères.
J’ai eu besoin de romans qui questionnent la sexualité. Je ne les ai pas eus assez tôt. J’en écris parce que c’est ce dont je veux parler. Je suis surprise à chaque fois qu’on me demande pourquoi mes personnages sont homosexuels ou bisexuels. Parce que je suis persuadée qu’on n’a jamais demandé à un auteur d’un roman présentant un couple d’hétérosexuels pourquoi ils sont hétérosexuels. Ainsi, cela me souligne discrètement, mais sûrement, que mon identité peut causer problème.
Pourquoi mes romans seraient-ils considérés comme étant « trop homosexuels » ? Pourquoi ne pourrait-on pas dire que 95% de ma bibliothèque personnelle est trop hétérosexuelle ? Que 99% est trop blanche ? Que 99% est trop cisgenre ?
Nous avons tous une perception du monde différente. Et quand nous regardons le monde avec les yeux de quelqu’un qui n’a pas les mêmes expériences que nous, nous découvrons des nouveaux repères. C’est très intéressant, je vous l’assure. Et cela aide à mieux vivre avec son prochain.
Ce serait même merveilleux si toutes les expériences étaient accessibles avec la même facilité. Malheureusement, ce n’est pas le cas aujourd’hui. Regardez les tables rondes d’auteurs, regardez les magazines littéraires à la télévision, regardez qui parle, qui est invité.
En attendant, moi, j’ai des livres trop homosexuels à écrire.
« Trop homosexuel » « trop lgbt » « gay agenda », c’est typiquement le genre de réactions/avis que j’ai vues sur Sense8. Et sur tous les films/livres/produits culturels abordant un minimum le sujet. Cela m’agace un tantinet quand je vois que 99,99% de la prod’ se centre sur des hommes blancs cishétéro (je ne suis pas hommeblanccishétérophobe ^_^).
Courage. :3
Merci 😀
<3
C'est dingue de me rendre compte d'à quel point j'aurais pu écrire cet article (à ceci près que je suis bie, ce qui comme tu l'as dit – merci – présente des challenges un peu différents, et que j'ai pas encore tenté le challenge We Need Diverse Books – sans doute l'année prochaine). Et moi aussi, je venais d'une "famille extrêmement cultivée", avec des étagères remplies de livres dans TOUTES les pièces de la maison. Des centaines et des centaines de livres en grosse partie blancs (et pourtant ma mère était une """"passionnée de l'Afrique !!!!"""), à 99% hétéros, à 100% cisgenre. Et je ne parle même pas de mon propre refus/dédain de lire d'autres livres (excepté des livres "homosexuels") jusqu'à trop récemment.
Une phrase qui m'a marquée : y a deux ans, mon père lit ma première nouvelle publiée, et m'avoue, au téléphone, que ça lui a fait "bizarre", l'a rendu "mal à l'aise", d'être amené à "s'identifier avec un homme homosexuel". C'était la première fois qu'il lisait "ça". Outre le malaise ENORME que cette phrase m'a fait ressentir (et je parle même pas du "les femmes ça va encore, je dois avoir un bon côté féminin"), j'aurais eu envie de lui dire qu'à 45 ans, bah c'était pas trop tôt, qu'il lise "ça".
C’est très parlant comme anecdote ! Ca montre bien à quel point ton père doit se reconnaître dans la quasi-totalité de ce qu’il lit.